Mais qui donc n’a pas compris ?

Quelques remarques à Luc Recordon

29 Avril 2011, Christof Merkli, Traduction Gil Stauffer

Philippe Roch, critique modéré des parcs d’éoliennes en Suisse et ancien directeur de l’Office fédéral de l’environnement, est l’auteur de l’ouvrage « Eoliennes, des moulins à vent ? Un chemin entre refus et démesure ». Il explique, entre autres, que le remplacement de la production d’une centrale nucléaire du type de Leibstadt par celle d’éoliennes exigerait en fait beaucoup plus de machines que ne le proclament naïvement des éco-fondamentalistes comme Luc Recordon et Rudolf Rechsteiner.

Dans un article publié par le “Le Matin” (26 avril 2011), la question a été une nouvelle fois abordée. Luc Recordon, spécialiste auto-proclamé de l’énergie éolienne en Suisse, se sent de taille à faire autoritairement la leçon :

« M. Roch est un peu ignare sur le plan technique! De plus, en se posant en unique défenseur de la sainte nature, il adopte une position extrémiste et fait une regrettable «fixette» sur l’énergie éolienne. Il pourrait tout aussi bien s’attaquer aux lignes électriques qui sont autrement plus laides que les éoliennes! Les écologistes, qui se battent depuis des dizaines d’années pour que toute nouvelle technologie soit abordée de manière critique, n’ont pas de leçons à recevoir de l’ex-directeur de l’Office fédéral de l’environnement ».

Luc Recordon estime faux de prendre pour référence les modèles d’éoliennes qui n’ont qu’une puissance de 2 MWc (mégawatts-crête). Selon lui, les installations les plus modernes offrent une puissance de 7,5 MWc. Mais il lui est indifférent, à lui et à ses camarades Verts, que ces monstres atteignent une hauteur de 200 mètres, avec un rotor de quelque 130 mètres de diamètre. En d’autres termes nous avons affaire là à une monstruosité dans le paysage. Placée sur une hauteur, une éolienne de ces dimensions serait visible de la moitié du Plateau.

Les sottes et récurrentes erreurs de raisonnement des Verts

L’équation «production électrique éolienne = production électrique nucléaire » nous est sans cesse resservie. Or la production d’aérogénératrices, en raison même de ses caractéristiques intrinsèques, ne peut pas être comparée à la production d’une centrale nucléaire. Alors que cette dernière fournit de l’énergie au réseau de manière continue et stable, aucune éolienne, en Suisse, en raison de la faible fréquence et vitesse des vents, ne peut assurer une production pendant seulement 10 % du temps. Et inutile de parler d’une éventuelle planification de la production. L’énergie éolienne n’est « prévisible » qu’avec une incertitude très importante alors que la production d’une centrale nucléaire est quasiment totalement programmable. Ce sont là deux différences essentielles qu’il s’agirait de prendre enfin en compte. Or les Verts ne les ont même pas remarquées.

«Pour remplacer Leibstadt, il faudrait 624 bonnes éoliennes de 7,5 MW à 2000 heures de vent et 3902 vieilles éoliennes (2 MW) dans de mauvaises conditions de vent (1200 heures).»

(Source : http://www.lematin.ch/actu/-debat/eoliennes-ecologistes-egarent-404773)

Première erreur

La puissance nominale (crête) d’une éolienne n’est atteinte que rarement ; elle ne peut l’être que lorsque la vitesse du vent est suffisante. En règle générale, cette vitesse est de l’ordre de 12 m/s à l’axe du rotor. Une éolienne, en Suisse, même si elle est dressée sur l’un des rares « sites adéquats » du pays, ne tournera en moyenne sous cette vitesse qu’un jour sur six. Pour les jours qui précèdent et suivent, la puissance sera réduite à seulement 0-10% de la valeur nominale. Mais le monstre n’en reste pas moins un monstre, tous les jours de l’année. Pour une aérogénératrice, s’approcher d’un rapport 1:1 entre puissance installée et puissance réelle, comme c’est le cas pour une centrale nucléaire, n’est nullement envisageable. Même lorsqu’ il y a assez de vent, le régulateur du réseau – pour peu qu’il ait détecté la production de l’éolienne – ne peut pas garantir que la quantité d’énergie injectée sera encore livrée cinq minutes plus tard. La production d’une centrale électrique habituelle est complètement différente, qu’elle utilise le gaz, la force hydraulique ou l’atome : sa production est dite « en ruban » et peut être régulée.

Pour pouvoir garantir la production d’une centrale du type de Leibstadt par des éoliennes, c’est la puissance globale, à son niveau de disponibilité le plus bas, d’installations réparties sur un large territoire qu’il faut prendre comme base de calcul. En Allemagne, cette puissance est extrêmement faible et ne représente que le 2 % de la puissance installée. Même avec les 25’177 MW installés actuellement dans ce pays, ce n’est que sur une part minime de quelque 500 MW que l’on peut réellement compter. Le calcul réaliste du remplacement de la centrale de Leibstadt par des éoliennes devient en en conséquence complètement différent.

Nous utilisons ici les données de sources officielles :

  • · Production annuelle de Leibstadt (1165 MW) : 9385 GWh
  • · Production annuelle de l’éolienne Enercon 126 (7,5 MW) : 17 GWh

(selon la liste de référence de la « Erneuerbare Energie Gesetz (EEG) »

Avec les bonnes conditions de vent que connaît l’Allemagne (nettement meilleures qu’en Suisse) il faudrait dès lors 9385 / 17 = 552 des plus grandes éoliennes actuellement disponibles pour remplacer la production de Leibstadt.

Comment Luc Recordon parvient-il au chiffre de 624? Nous ne le savons pas. Peut-être l’erreur vient-elle du fait qu’il n’a pas encore exactement compris la différence entre puissance installée et production. Qui compare une quantité de courant produite avec une puissance compare en fait des choses qui ne peuvent pas l’être. D’ailleurs, la quantité de courant produite par les éoliennes sur le papier est bien souvent supérieure à ce qu’elle est en réalité. Ainsi, si l’on ne considère qu’une même quantité de courant et que l’on «oublie» la discontinuité de la production et l’absence de toute possibilité de pilotage, il est parfaitement correct de dire que la centrale de Leibstadt peut être remplacée par 552 gigantesques éoliennes. Mais c’est encore là une façon très superficielle de voir les choses.

Ce serait dès lors une autre erreur que d’arrêter nos calculs ici. Tenons compte de la disponibilité et de la continuité dans l’approvisionnement – qui sont des facteurs décisifs pour le réseau. Nous devons alors évidemment poursuivre.

552 aérogénératrices du type Enercon 126 livrent, en Allemagne, une quantité annuelle de courant comparable à celle de Leibstadt. Il ne faut toutefois pas oublier que nous avons en Suisse des conditions de vent nettement moins bonnes qu’en Allemagne. Pour simplifier le calcul qui suit, nous n’en tiendrons pas compte.

  • Disponibilité et continuité de la puissance nominale de Leibstadt : 95%
  • Disponibilité et continuité pour Enercon 126 : 2%
  • Rapport : 95 / 2 =  47,5

Puissance moyenne en disponibilité de bas niveaudes 552 grandes éoliennes :

  • Une seule machine Enercon 126:  7,5 MW / 47,5 = 158 kW (kilowatt)
  • Puissance en disponibilité de bas niveau de 552 Enercon 126:     552 x 158 kW = 88’000 kW (88 megawatt, MW)

Nombre de machines de 7,5MW nécessaires pour une production moyenne comparable à celle de Leibstadt :

  • 1190 MW (Leibstadt) / 88 MW (Enercon 126) x 552  = 7’464 Enercon 126

 

Ainsi, pour remplacer avec la même qualité d’approvisionnement la centrale de Leibstadt par des éoliennes, il nous faudrait implanter sur chaque sixième kilomètre carré du territoire suisse une des plus puissantes et plus coûteuses éoliennes actuelles.

Il y a une différence essentielle entre la quantité de courant produite (mesurée en GWh) et la puissance installée (mesurée en GW). Pour la cuisine et le chauffage, nous avons d’abord besoin d’une certaine puissance, avant d’avoir besoin d’une certaine quantité. Le photovoltaïque installé sur le toit d’une villa familiale peut fournir assez d’énergie pour la consommation annuelle de la maison. Mais les exigences de puissance à un moment donné ne sont pas remplies. Cuisiner et se chauffer quand on le veut n’est pas possible. Pourquoi ? Parce qu’il faut que l’eau chauffe pendant un certain temps et, pour cela, il nous faut beaucoup de puissance en peu de temps. L’eau ne bouillira pas si on la chauffe avec une grande quantité d’énergie mais peu de puissance. Si la puissance est trop faible, même dix ans de chauffage ne la feront pas bouillir. Elle ne sera que chaude.

Deuxième erreur

Les pylônes électriques sont moins laids que les éoliennes

Les pylônes des lignes électriques ne dépassent généralement pas la hauteur de 60 mètres. Ils sont construits selon la technique du treillis et ne cachent guère le paysage qui est derrière. Le plus important est toutefois que les pylônes ne tournent pas. En effet, les objets tournants retiennent automatiquement l’attention. Les éoliennes, par leurs pales, engendrent de plus des ombres mobiles à proximité et font passer rapidement de l’ombre à la lumière. Cela dit, personne ne conteste que les pylônes électriques sont indispensables à la distribution de l’électricité. Les éoliennes, elles, ne le sont pas.

Troisième erreur

« (…) Avec de bonnes éoliennes de 7,5 MW à 2000 heures de vent et 3902 vieilles éoliennes (2 MW) dans de mauvaises conditions de vent (1200 heures)(…) »

(Source : http://www.lematin.ch/actu/-debat/eoliennes-ecologistes-egarent-404773)

Luc Recordon ne sait manifestement pas comment on calcule le nombre des heures de production à pleine charge (ou puissance nominale).

A savoir :

Production annuelle / puissance nominale

 

Calculons une fois de plus à partir des chiffres allemands :

  • Eolienne de 7,5 MW : 85’000 MWh / 7,5 / 5 = 2’266 heures à pleine charge
  • Eoliennes 2 MW : 30’000 MWh / 2 / 5 = 3’000 heures à pleine charge

(selon la liste de référence citée)

Les éoliennes de 2 MW ont donc un nombre supérieur d’heures de pleine charge. Comme nous ne disposons en Suisse que d’une moyenne de 1040 heures à pleine charge, il s’ensuit que, pour les machines géantes, le nombre devrait s’élever à environ 800, ce qui est plutôt modeste.

Quatrième erreur

Elle n’a pas été commise par Luc Recordon dans « Le Matin ». Evidemment, il est possible de parler d’une amélioration de la situation de l’éolien en faisant appel à un stockage qui fonctionne correctement. Au sein d’une belle théorie – où tous les Verts peuvent porter le titre de professeur – tout cela paraît magnifique, surtout si l’on y croit. Mais trois faits au moins sont très problématiques :

Pompage-turbinage : Aucun producteur d’électricité ne va acheter du courant d’origine éolienne à 20 ct/kWh lorsqu’il peut en avoir la même quantité pour 2,6 ct au plus sur le marché libre ou s’il peut l’obtenir même en touchant une indemnité de reprise.

Autres types de stockage : les batteries Vanadium Redox ne sont pas encore en exploitation et nécessitent un gros volume. Le problème de l’autodécharge n’est pas réglé (important pour les périodes sans vent). Les stockages chimiques comme celui de l’hydrogène sont également encore loin de pouvoir être utilisés commercialement ou industriellement.

Gestion du réseau électrique: Comme la plupart des installations éoliennes injectent du courant dans le réseau en dessous du seuil critique de 10 MW, le réseau ne peut pas réagir en optimisant la distribution/production. L’épée de Damoclès de la discontinuité étant toujours suspendue sur un réseau qui veut d’abord de la continuité dans l’approvisionnement, un petit apport de courant venu d’éoliennes ne peut guère avoir d’effet.

Cinquième erreur

Les « sites adéquats ». Il y en a 12, selon le « Concept d’énergie éolienne pour la Suisse » (http://www.news.admin.ch/NSBSubscriber/message/attachments/18672.pdf). On devrait donc installer les gigantesques éoliennes que préconise Luc Recordon sur ces sites pour éviter un envahissement de tous les paysages suisses. Chaque site devrait ainsi recevoir 52 éoliennes, selon les données de Recordon, et plus de 600 si l’on retient des données réalistes.

Encore une remarque à propos du Concept et des sites déclarés adéquats.

Ce concept a été élaboré principalement par des opposants aux centrales nucléaires. En réalité, on ne trouve en Suisse qu’un seul site adéquat, c’est-à-dire répondant aux critères retenus en Allemagne: la vallée du Rhône dans la région de Collonges et Martigny, en raison de ses caractéristiques géo-topographiques uniques.

Greenpeace Suisse devrait corriger ses données

Greenpeace Suisse s’est risquée à affirmer, au printemps 2011, que chaque éolienne pourrait fournir l’électricité de 6000 ménages. Il s’agit là d’une affirmation absolument ridicule, qui ne repose sur aucun chiffre et qui fait apparaître encore plus infondées les déclarations de Luc Recordon. Ces chiffres ont été retirés, la semaine dernière, après une intervention de l’organisation “Paysage Libre – Freie Landschaft. Pour l’heure, aucun correctif n’a été publié par Greenpeace avec des chiffres réalistes. La réalité, en effet, n’est pas tendre avec les constructions imaginaires des écologistes. Le représentant de Greenpeace écrit:

« Il ressort pourtant clairement de ce calcul que le chiffre de 6’000 ménages et trop optimiste. Nous avons donc demandé à nos collaborateurs du marketing de suspendre la parution de ces annonces et de les corriger. Ces annonces avec ce chiffre erroné ne devraient donc plus paraître dans la presse. Nous n’avions pas l’intention d’exagérer ce chiffre, mais avons fait une erreur de calcul ».

Qui veut faire état de chiffres réalistes devrait en substance affirmer ceci : actuellement, la production annuelle la plus élevée d’une éolienne en Suisse est d’environ 5 GWh. La moyenne, toutefois, est au plus de 2 GWh/an. Comme un ménage moyen consomme environ 5,3 MWh/an, c’est en conséquence l’équivalent de la consommation annuelle de quelque 380 ménages qui serait produite.

L’inconscience des idéologues qui propagent des chiffres exagérés pour promouvoir une politique est stupéfiante. La diffusion de ces affirmations fausses relève d’une intention et d’un système.

Pour terminer, la réponse de Luc Recordon à propos de l’interpellation critique de la conseillère aux Etats Forster et de la réponse biaisée par le lobby éolien qui a été fournie :

(http://www.parlament.ch/f/suche/pages/geschaefte.aspx?gesch_id=20103925e)

« Vos inquiétudes sont en partie légitimes, mais si mal documentées et si peu nuancées qu’elles perdent beaucoup de crédibilité. La pesée des intérêts entre les éoliennes et leurs effets secondaires mérite mieux; je m’y attache ».

Le déni des réalités a un nom: la politique de l’énergie des Verts.

 

 

 

 

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